Inocybe amblyspora Kühner

Bulletin de la Société des naturalistes d'Oyonnax, Supplément Mémoire hors série n°2, 1955 (9) p. 3

Par Gérard Sick

DESCRIPTION

Chapeau
Plan-convexe, mamelon bas, large et obtus, marge infléchie. Diamètre 40 mm, hauteur avec les lames 8 mm. Epaisseur de la chair à mi rayon 1,5 mm. Surface finement fibrilleuse, non rimeuse, présentant par rayon une demi-douzaine de chinures étroites ou petites écailles apprimées dont la largeur dépasse rarement 2 mm. Ecailles brun châtain S49 (Code de CAILLEUX), peu différenciées sur un fond à peine plus clair, rarement jusqu'à brun pâle M53. Teinte moyenne uniforme du centre du chapeau à la marge. Lames à profil sinueux, insertion variant de "arrondie au pied" à "émarginée". Largeur maximale 4 mm. Gris très clair sans trace de brun, plus clair que K73.

Inocybe amblyspora © G. Sick
Photo © G. Sick

Pied
Droit, cylindrique, plein. Base avec un bulbe net non marginé, légèrement aplati à la partie inférieure. Hauteur totale du spécimen 33 mm, longueur totale du pied à l'insertion des lames : 28 mm, diamètre : 9 mm pour le tronc, 14 mm pour le bulbe. Tronc portant sur toute sa longueur des fibrilles blanches parallèles laissant voir un fond nettement coloré. Sous l'effet d'une pression légère, les fibrilles disparaissent et la surface du pied apparaît, brun rougeâtre vers M37. Dessus du bulbe presque blanc du fait des fibrilles plus denses.
L'examen microscopique sur exsiccata n'a pas permis d'identifier avec certitude les fibrilles recouvrant le pied, ce pourrait être des hyphes d'épaisseur 3 à 5 µ, de longueur supérieure à 50 µ, incolores et sans paroi visible.

Chair
Blanche dans le chapeau et la moitié inférieure du pied, à peine plus colorée dans la partie supérieure du pied. Cortex du pied concolore à la surface du pied sur toute sa longueur. Odeur faible, sans caractère définissable. Goût non testé.

Spores
Brunes sous le microscope, sporée non recueillie. Profil léiosporé amygdaliforme à sommet conique peu marqué. Dimensions 7,5-9 x 4-5,5 µ, Q= 1,5 à 2; moyenne : 8,2 x 4,8 µ, Q = 1,7. Basides tétrasporiques.

Cystides
- Pleurocystides pour la plupart de profil fusiforme, rarement subcylindrique ou clavé. Paroi d'épaisseur pratiquement constante 1 µm, incolore à faiblement jaunâtre dans l'ammoniaque. Dimensions 46-65 x 12-15 µm. Q moyen = 3,8.
- Cheilocystides de profil variant entre des éléments identiques aux pleurocystides et des paracystides subglobuleuses à paroi mince de diamètre moyen 20 µm.
- Caulocystides du sommet du pied abondantes et semblables aux pleurocystides, mêlées à quelques paracystides. Vers la base, elles sont progressivement moins abondantes, déformées et mêlées à des paracystides de plus en plus nombreuses. Des caulocystides typiques sont encore présentes juste au-dessus du bulbe ...

Inocybe amblyspora Spores et cystides © G. Sick
Inocybe amblyspora - Spores et cystides

Récolte et station
Récolte de 3 spécimens par Paul HERTZOG à Frasne(Doubs), altitude 850m. MEN 3425C. Parking herbeux au départ du circuit touristique de la tourbière, en bordure de forêt. Le biotope n'a pas été relevé. Le sol est aménagé avec vraisemblablement un apport extérieur.
La récolte est conservée en herbier N° 01100201 à 01100203 (G. SICK)
Les chapeaux étaient recouverts de terre et ont été nettoyés avant l'examen, ce qui ne permet plus la constatation d'une présence de restes de voile ou de viscosité, mais n'a apparemment pas altéré l'aspect de la cuticule.

Les 3 exemplaires sont pratiquement identiques. La photo 1 représente l'exemplaire décrit.
La photo 2 présente un exemplaire dont la marge a été partiellement relevée par un exemplaire inférieur, ce qui permet de constater l'uniformité de la coloration du chapeau et d'attribuer à la prise de vue la teinte plus sombre du bord du chapeau partout ailleurs sur les photos. La même photo montre aussi le résultat d'un contact sur le pied.
Les dimensions, l'odeur et les couleurs (Code CAILLEUX) ont été notées sur le frais. Les cystides et les spores ont été mesurées et dessinées depuis les exsiccata âgés de 2 mois, après regonflement dans l'ammoniaque. Les spores ont été prélevées au sommet du pied. Les dessins ont été réalisés avec un tube à dessin.

COMMENTAIRES

La correspondance de la récolte avec la description de KÜHNER est forte. Les quelques différences pouvant être relevées sont d'ordre quantitatif plutôt que qualitatif, par exemple le port plus trapu. Cette différence s'explique aisément par un développement inachevé, confirmé par la marge encore infléchie et les lames presque blanches.

1. Le profil de la spore:
Parmi les autres différences, celle qui porte sur le profil du sommet de la spore est la plus délicate à apprécier car pouvant faire douter de la détermination.
Extrait de la description de KÜHNER : " spores non en amande, mais elliptiques allongées ou subphaséoliformes, à sommet arrondi-obtus (non angulé !), 7-10 x 4,2-5µm "

Les Inocybes léiosporés cystidiés présentent 2 types principaux de profil du sommet de la spore, décrits et représentés dans la Flore Analytique :

· le profil "arrondi" de I. pudica : " Sp. pruniformes, moins en amande, plus elliptiques que dans d'autres Inocybes cystidiés. ".
· le profil "conique" de I. friesii : " Sp. en amande ou fusiformes-naviculaires ".

Dans la Flore Analytique, le tracé semble accentué pour mieux faire passer le message car les récoltes personnelles des deux espèces ci-dessus présentent des valeurs moyennes moins contrastées. Il importe de noter que la distinction entre ces 2 profils s'apprécie sur au plus 1µm.
Le nom de l'espèce est basé sur "ambly", tiré de l'équivalent grec de "émoussé" qui figure dans la diagnose latine "in summo hebelibus". La caractéristique est présente mais faible et sa perception dépend de la sensibilité de l'observateur.
Dans un premier temps, elle m'avait échappé alors que, sur une autre récolte certes mais avec apparemment une sensibilité différente, MONTEGUT perçoit "une nuance arrondie du contour presque tout autour de la spore".

Le caractère sub-phaséoliforme" de la spore est présent sur la récolte mais trop faible en ampleur et en fréquence pour être significatif.

Dans l'ensemble, les descriptions des caractères microscopiques forment un ensemble cohérent qui correspond bien avec la récolte. Les quelques différences notables : des spores plus grandes chez ALESSIO (8-11 x 5-7µm) constituent par leur nombre restreint et par leur hétérogénéité des valeurs dont l'importance peut être relativisée.
La spore à "paroi épaisse" de BREITENBACH et KRÄNZLIN et le tracé de spore schématisé de BON sont des interprétations portant sur bien plus qu'une espèce et ne constituent pas une différence précise sur l'espèce étudiée.

Le caractère choisi pour nommer l'espèce est peu distinct mais cela est insuffisant pour empêcher que la récolte soit I. amblyspora. Les autres caractéristiques sont suffisamment nettes et nombreuses pour séparer I. amblyspora des espèces voisines.
Les clés de BON, ENDERLE et STANGL, KÜHNER et ROMAGNESI et KUYPER mènent facilement à I. amblyspora.

2. La couleur du chapeau
Extrait de la description de KÜHNER : " chapeau brun châtain ou brunâtre sale, de teinte moyennement foncée (palissant parfois vers les bords ou devenant rarement brun foncé avec l'âge), d'abord fibrilleux radialement (ou fibrilleux-subtomenteux), glabrescent chez l'adulte, soit fibrilleux ou fibrilleux subpeluché, soit vaguement moucheté de méchules apprimées et fort peu distinctes, surtout au voisinage du disque, qui est rarement aréolé-gercé, non rimeux, humide."
La couleur du chapeau de la récolte correspond bien à la couleur du fruit de Castanea sativa. L'ensemble des descriptions et illustrations élargit la plage de coloration du chapeau vers des teintes plus claires. La couleur du chapeau " brun châtain " en italiques, donc à priori la couleur caractéristique, est une couleur précise parce que facile à comparer avec son type ; alors que "brunâtre sale" permet une interprétation large.
Par exemple en 1974 STANGL décrit avec VESELSKY un chapeau " ocre argillacé vers le bord ". En 1989, STANGL maintient cette caractéristique et dessine 3 exemplaires, tous avec un bord du chapeau d'une couleur voisine de celle de I. cookei, une couleur franchement jaune qu'il est surprenant de voir incluse dans " brunâtre sale palissant parfois ".
Sur la photo de BREITENBACH et KRÄNZLIN, le chapeau est entièrement plus jaune que brun.

3. L'aspect du pied
Extrait de la description de KÜHNER : " pied égal ou subégal, mais renflé en bas en un bulbe brusque, obtusément marginé, plus ou moins net …, toujours franchement coloré : brunâtre ou fauvâtre, mêlé d'ocre ou de rosé, sauf au niveau du bulbe où il est blanc, souvent rayé, nettement sablé-pruineux (sous la loupe) jusqu'à la base, …plus ou moins aranéofibrillé de blanc vers le bulbe "
Le pied de la récolte a été décrit plus haut. Les descriptions et illustrations attribuent à l'espèce un pied d'abord blanc (Uni-Mainz, BIZIO et FERRARI, la photo de BREITENBACH et KRÄNZLIN, FRUND) ; un pied à sommet pâle (ALESSIO, MONTEGUT), pruineux au sommet (BREITENBACH et KRÄNZLIN, STANGL), seulement "parfois faiblement nuancé de rose" (BREITENBACH et KRÄNZLIN) ou à bulbe faible ou nul (MOSER et JÜLICH).

C'est peu dire qu'entre la description de KÜHNER, la récolte et les descriptions par les différents auteurs il y a une marge confortable, même inquiétante quand à la crédibilité d'une détermination.

Celle-ci peut cependant être maintenue sur la base des observations suivantes :
· les fibrilles ne sont plus visibles après un contact
· il est entièrement fibrilleux et entièrement caulocystidié (caractéristiques habituellement incompatibles)
· Paul HERTZOG a noté: " 3 exemplaires presque connés, très enterrés, seuls les chapeaux dépassaient de la surface du sol "

Explication proposée :
Les fibrilles du pied de la récolte ne sont pas de même nature que celles qui recouvrent par exemple le pied de I. lanuginosa qui sont brunes, qui ne font pas toute la longueur du pied et qui ne changent pas de couleur après un contact.
Elles ne font pas partie du revêtement du pied, elles lui sont superposées, elles pourraient être un vestige de la chambre hyméniale dont l'importance varie en fonction des conditions de la poussée.
Elles ont retenu une humidité qui les a gonflé artificiellement, une légère pression chasse cette humidité et les ramène à leur diamètre réel, les rendant ainsi peu ou pas visibles.
Elles disparaissent plus ou moins rapidement au fur et à mesure du dessèchement des spécimens et laissent apparaître la pruine qu'elles recouvraient.

Cette explication correspond bien avec les photos de BREITENBACH et KRÄNZLIN et celles de BIZIO et FERRARI qui montrent des à la fois des exemplaires plutôt jeunes à pied clair et des exemplaires plutôt âgés à pied coloré.
KÜHNER n'aurait pas noté la chose car sa description est basée sur une récolte unique qui ne présentait pas ce caractère.

4. L'aspect général
Sur l'ensemble des illustrations, celle qui convient le mieux à la récolte est de loin celle de BIZIO et FERRARI, les autres illustrations s'en écartent plus ou moins et parfois n'ont en commun avec la récolte que le nom attribué (pas de citation !).
Pas de rapport avec les illustrations connues à l'époque de la récolte, caractère "ambly" discret et non perçu ; rien d'étonnant à ce que le nom proposé le jour même par Alain BELLOCQ n'ait pas retenu l'attention mais c'était bien cela.

5. Synonymies
I. amblyspora présente la caractéristique rare d'avoir presque entièrement échappé aux synonymies : il n'est synonyme d'aucune autre espèce et il est assorti d'un seul synonyme, I. tristis qui, comme d'habitude, est controversé. Pour créer I. tristis, MALENÇON et BERTAULT argumentent qu'il " semble proche de I. amblyspora, mais en moins coloré, avec des spores plus ventrues et atténuées au sommet ". Pour contester la synonymie, BON et CONTU argumentent :
" I. tristis est apparemment différent aussi bien macroscopiquement (plus sombre ou moins caulocystidié) que microscopiquement, par ses spores à sommet plus conique ou ogival, non obtus ("ambly"), d'après examen du typus ".

KUYPER voit la possibilité d'une synonymie entre I. amblyspora et I. pseudoreducta (STANGL et GLOWINSKI) mais conserve l'indépendance entre ces 2 espèces sous réserve de l'examen d'autres récoltes (I. amblyspora est donné pour très rare et KUYPER n'a pu examiner que les exsiccata de 2 récoltes anciennes).

Dans ses commentaires de 1993, KUYPER note que I. pseudoreducta diffère par des cystides plus larges et à paroi plus épaisse ainsi que par un bulbe moins prononcé. Dans la clé du même ouvrage il sépare I. pseudoreducta qui diffère par un chapeau rimuleux et des spores à sommet distinctement conique alors que I. amblyspora a des spores à peu près (almost) obtuses.

Que KUYPER, qu'on sait plus porté sur les caractéristiques microscopiques que macroscopiques, envisage un rapprochement entre les 2 espèces, c'est dire que la caractéristique choisie pour nommer I. amblyspora est mince, très loin d'être aussi évidente que l'est celle de I. calospora.

REMERCIEMENTS

Maxime CHIAFFI, Bernard CROZES, Claude LEJEUNE, Dominique SCHOTT et Jean-Jacques WUILBAUT pour l'apport de documentation,
Paul HERTZOG pour avoir fourni matière à des recherches plus intéressantes que d'habitude qui ont permis de confirmer, si besoin était, que la description d'une espèce par son auteur est prioritaire.

BIBLIOGRAPHIE

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BON M., CONTU M., 1993 - Validation de quelques combinaisons chez les Agaricales, Lille (F), Documents mycologiques 22 (88) : 25.
BREITENBACH J., KRÄNZLIN F., 2000 - Champignons de Suisse (tome 5). Luzern (CH), Mykologia, 340 p.
CAILLEUX M., - Code de couleur des sols, Boubée.
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KUHNER R., ROMAGNESI H., 1953 - Flore analytique des champignons supérieurs. Paris (F), Masson, 536 p.
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MOSER M., 1983 - Kleine Kryptogamenflora 2b/2 Basidiomyceten, 2 Teil. Stuttgart (D), G. Fischer, 534 p.
MOSER M., JULICH W., 1985-1996, Farbatlas der Basidiomyceten, Stuttgart (D), G. Fischer
STANGL J., 1989 - Die Gattung Inocybe in Bayern Hoppea (46). Regensburg (D), Regensburgischen botanischen Gesellschaft, 411 p. dont 38 pl.
STANGL J., VESELSKY J., 1974 - Fünfter Beitrag zur Kentniss der selteneren Inocyben Arte. (CZ) Ceska mycol. 28 : 195 - 197


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