Société Mycologique de Strasbourg |
Notes sur quelques Russules récoltées aux Journées Mycologiques du Liebfrauenberg (67) par
Claude LEJEUNE
Le hasard - dans une saison qui ne nous ménagea ni ses désordres météorologiques ni ses « surprises cynégétiques » - fit plutôt bien les choses, puisqu'à part R. adusta, toutes ces heureuses rencontres sont le fait d'espèces harmonieusement issues de la supersection des Tenellae Quélet (ou du sous-genre Tenellula Romagn.). Laquelle regroupe des espèces que caractérisent un port gracile, un chapeau fréquemment cannelé, une chair ténue, souvent fragile, comme l'est le stipe, creux et muni d'un cortex extrêmement mince. Les cuticules, séparables, y sont toutes dermatocystidiées (DC souvent pluricloisonnées), munies presque toujours de poils banals et dépourvues d'hyphes primordiales et d'incrustations. L'homogénéité de cet ensemble se retrouve encore au niveau des basides, courtes, et des cystides, immerses ou peu spectaculaires. Le partage de ce vaste groupe (en sous-sections) s'appuie sur la tendance (ou non) de la chair à jaunir, sur la couleur dominante du chapeau et sur d'autres attributs, plus ou moins subjectifs - les Tenellae constituant typiquement un ensemble dont l'homogénéité apparente masque des origines et donc des parentés polyphilétiques. Ajoutons, pour conclure ce bref rappel, que la couleur de la sporée y est des plus variables (du crème au jaune moyen), cette variabilité pouvant s'exprimer à l'intérieur d'une même sous-section, voire (R. versatilis) d'une même espèce.
Russula versicolor J. SchaefferPetite à moyenne, modérément élancée (5 cm) avec un chapeau vers 4 cm, un peu déprimé, assez finement cannelé, très décolorant : en beige clair un peu ocracé avec de très légers reflets olivâtres, le disque plus obscur, patiné d'un discret mélange de vert et de violacé. (Cette nuance verte - qui est l'un des traits signalétiques de cette russule - s'affirmera franchement à la dessiccation). Lames crème. Stipe blanchâtre à la récolte, jaunissant assez nettement au bout de 24 heures après ré-imbibition (ce jaunissement s'accentuera lui aussi en herbier). Saveur à peine piquante dans les lames au moment de la
récolte, puis sensiblement douce ; odeur indistincte. L'examen de la spore (nettement elliptique, vers 8 µ , zébrée-crétée à partiellement réticulée, des connexifs se mêlant aux crêtes hautes de 0,8 µ environ) confirmera cette détermination, en orientant vers la "forme B", « forme macrospore à ornementation sporale plus zébrée-réticulée » que Romagnesi (1985) décrit à la page p. 607 de sa monographie. A noter à ce sujet cette remarque de M. Bon (1981) : " Nous ne connaissons pas de récolte pouvant se rapporter au type (microspore) décrit par Romagnési (...)" lors d'une note de récolte se rapportant, elle aussi, au "type macrospore". L'habitat bétulicole, la présence de nuances vertes vers le disque, parmi des coloris brouillés, le jaunissement d'abord léger (ou tardif) et la légère âcreté des lames singularisent cette espèce au sein des Puellarinae. A noter l'existence d'une var. intensior (Cooke) Kühn.-Romagn. caractérisée par un chapeau uniformément pourpre vineux.
Russula versatilisRomagnesi Petite à moyenne, au chapeau (4-5 cm) plan convexe, viscidule, modérément
cannelé, pas ou peu déprimé, fortement décoloré, le pourtour gris-beige
olivâtre laissant à peine deviner à la marge un reflet vineux-rosâtre
délavé, plus distinct au centre qui est par ailleurs égayé d'ocre roussâtre
plus soutenu.
Sporée (III d) - IV a.
Son odeur met assez vite sur la piste de cette Russule aujourd'hui encore méconnue quoique bien typée, créée par Romagnesi en 1967 (au proche voisinage de R. terenopus Romagn. - que nous ne connaissons pas - et dont il pensait alors qu'elle pourrait n'être qu'une variété). Est-elle, cette odeur, plus pélargoniée que fruitée ? Romagnesi indique : "odeur de violacea" (qu'il assimile, plus loin, à celle de fellea) ; Bon (1988) parle d'odeur nette de pelargonium ... Ces deux odeurs, hors de leurs confins, finissent quoiqu'il en soit par se ressembler plus ou moins : les appréciations croisées des auteurs dans la littérature, en témoignent à plaisir. Une précédente récolte, en forêt de Haguenau, sous charmes, nous l'avait montrée avec des nuances carminées ou purpuracées (nettement décolorantes) sans doute plus typiques (et parfaitement rendues par P. Moënne-Loccoz dans Reumaux, 1996, p. 233).
Notons encore que l'odeur peut, d'après son créateur, être très fugace et ne se manifester que brièvement, à la cueillette ; et que le jaunissement, qui est lui aussi un caractère diagnostic, peut être assez subtil. Sur la foi notamment de ce trait, Romagnesi avait rangé cette espèce dans le « groupe versicolor » - tout en soulignant une parenté avec R. odorata. Elle est sans doute mieux à sa place dans ce dernier voisinage où Bon l'a ensuite placée. Mais ce qui par dessus tout signe versatilis, c'est sa sporée, susceptible de naviguer du crème soutenu au jaune clair (d'où son nom, d'ailleurs) et l'ornementation unique de cette spore parmi toutes ses voisines : une spore subglobuleuse de 8 - 8,6 - 10,2 x 7 - 7,8 µ, densément spinuleuse, ces verrues coniques hautes de 1 à 1,5 µ et isolées (rarement subisolées par confluence de deux verrues).
Russula pulchralis Britzelmayr Chapeau irrégulier, déprimé, vers 5 cm, à marge
cannelée-tuberculeuse. Pratiquement monochrome : d'un brun décoloré en
paille-noisette sur le pourtour, la partie centrale brun sombre, +/- olivacé
(ces tons évoquant certaines parures de R. amoenolens ou de R. pectinatoides). Saveur douce ; forte odeur de R. fellea.Sporée : III d - IVa.
Cette récolte est en tout point conforme à la description de Romagnesi, qui reprend l'espèce "ss. Blum" (en émettant force doute sur la "vraie" pulchralis) et la place tout à côté de versatilis. On pourrait de fait la définir comme une versatilis brunâtre, totalement privée de ton rouge (ce qui n'est pas le cas de la conception ss. str. de Blum) et à spore subcristulée. Si l'on se réfère précisément à Blum (1962) qui classait R. pulchralis entre R. nauseosa et R. laricina, il faut préciser qu'il s'agirait alors là de la forme que Blum, du fait de sa pigmentation brune, rattachait à R. xanthophae Boudier, "à chapeau bistre ou brun, vite strié, [qui] ressemble beaucoup à une petite pectinata (...)", Blum attribuant à "sa " pulchralis ss. Cooke des nuances franchement rosâtres qui cadrent mal avec cette espèce. Ce qui, en fin de compte, explique et conforte a posteriori le commentaire de Romagnesi rappelant que J. Schaeffer assimilait R. pulchralis Cooke à R. nauseosa mais rend du même coup étonnant son adhésion au "sensu Blum" : sauf à penser que ce faisant, Romagnesi (puis Bon à sa suite) attribuaient finalement à Blum une interprétation large de pulchralis incluant peu ou prou sa xanthophae. Russula laricinaVelenovsky
Petite à moyenne voire assez grande pour la section (2-4-6 cm), assez
élancée (stipe jusqu'à 6 cm), au chapeau d'un beau rouge-violeté, ou encore
vieux-rose, palissant vers la marge, nettement et longuement
cannelée-tuberculeuse sur le spécimen le plus âgé. Le centre, déprimé,
soit plus obscur (brun olivâtre sordescent) ou, sur un spécimen, uniformément
olivacé clair. Stipe claviforme assez (voire très) grisonnant. Pourtant « classique », nous ne connaissions pas cette espèce que Paul Hertzog nous présenta. Quoique ayant créé une sous-section Laricinae, Romagnesi l'ignore superbement ou plutôt la tient, au mieux, pour une forme grêle de R. cessans Pearson. Pour Romagnesi, donc : deux espèces dans ce mini-complexe des Tenellae +/- grisonnantes et inféodées aux conifères : nauseosa et cessans. Bon dans sa clé reprend cependant cette troisième espèce, déjà tenue pour solide par Blum. Aussi bien le port, moins consistant que celui de cessans, que la spore, de forme plus oblongue et à l'ornementation à peu près intermédiaire entre celle de nauseosa (hautes épines isolées) et celle de cessans (plus bassement et assez amplement cristulée ou franchement réticulée) - en l’occurrence, ici, caténulée, brièvement et confusément (mais indiscutablement) cristulée - confirment ces différences. A noter qu'en dépit de son nom, R. laricina ne vient pas que sous mélèzes : épicéas ou pins lui conviennent également, en montagne comme en plaine.
Russula nitidavar. subheterosperma (Singer) Reumauxss. Blum, ss. Bon 1981, non ss. Reumaux
Espèce moyenne, plutôt élancée (vers 6 cm de haut) à chapeau profondément
déprimé et cuticule mate, dans les carmins vineux presque purs, un peu
cuivrés par l'effet de la décoloration, (mais + nettement décolorée en
ocracé au centre), sans aucune trace de vert ni violet ; stipe blanc, non lavé
de rouge ou de rosé à la base, immuable (jaunissant cependant fortement en
herbier). Spores : 8 - 9,6 - (10,4) x 6,5 - 7,8 µ à verrues épaisses, coniques obtuses, de taille irrégulière, hautes de (0,5) à 0,8 µ, jumelées en brèves crêtes et/ou présentant des connexifs nombreux, mais parfois aussi - plus rarement - subisolées. Cuticule : poils obtus, banals, vers 2,5 µ ; DC claviformes ou cylindracées, cloisonnées, vers 5,5 - 6 µ (donc assez grêles).
D'emblée la couleur de la sporée (ocre), comme – beaucoup plus accessoirement - la couleur très soutenue du chapeau, écartaient R. sphagnophila Kauffm. (ss.Romagn.) et orientait vers R. nitida (Pers. : Fr.) Fr., en dépit d’une spore à ornements non isolés.(Sur ce premier imbroglio entre ces deux espèces on lira évidemment avec profit les démonstrations de Romagnesi, pp. 652-656 de sa monographie). La clé de M. Bon nous offrit rapidement un premier nom, qui prenait en compte cette spore atypique : R. nitida var. heterosperma (Sing.) Bon. Ce dernier assorti cependant d'une remarque laconique : « inclus var. subheterosperma Sing. ? ».
Reprenant notre détermination récemment et nous mettant en quête de la validation par Bon de cette combinaison, comme des diagnoses originales de Singer, et des interprétations de ces variétés (auxquelles il faut ajouter une var. subingrata Sing., une f. olivaceoalba Sing. et une var. pallida Lange) nous avons mis le pas dans un tortueux labyrinthe ! Diverses contradictions en ressortent, qu'il serait sans doute laborieux d'exposer ici en détail. En quelques mots, toutefois : 2. Singer, au sein du même texte, (coquilles ?) se contredit si bien (les diagnoses disant, à propos de la taille des spores, le contraire de la clé qui leur succède) que ce texte fondateur paraît rendre illusoire toute discrimination ultérieure sérieuse (Ce à quoi concluera d'ailleurs Romagnesi trente ans plus tard). 3. Nonobstant quoi, Bon en 1988 et Reumaux en 1996 semblent considérer qu'il y a bien deux taxons (pour ne nous en tenir qu'à celles des variétés qui nous préoccupent). Mais Reumaux écrit : « (...) la première (var.
heterosperma) semble rare. Elle a été à mon avis parfaitement décrite par
Bon et van Haluwyn... »
..et en 1988, dans sa clé, Bon ne décrit plus qu'une « var. heterosperma (incl. var. subheterosperma?) » sans qu'on sache trop son parcours entre temps. Au final, nous retenons (provisoirement...) pour cette récolte le nom indiqué plus haut, en nous appuyant sur : - la diagnose originale de Singer pour sa variété subheterosperma
: "...pileo carmineo, medio nigro, dein in centro (...)
olivaceo-flavido-pallescente, in margine roseopurpureo (...)", assortie
d'une taille de spores un peu plus faible que pour heterosperma et d'une
ornementation que corroborent nos observations) ; l'absence de rouge au bas du
stipe (peu fréquent pour une nitida), reprise dans sa clé pour ses f.
olivaceoalba, var. subingrata et var. subheterosperma renforce notre
choix ; Reumaux s’étant livré à une interprétation semble-t-il différente (mais rien ne permet de penser davantage et catégoriquement qu'il se trompe !), c'est sous la var. heterosperma que l'on trouvera dans son livre une illustration à peu près conforme à notre récolte (p. 233 – et si l’on veut bien ignorer le stipe lavé de rouge !), dont nous dirons pour conclure qu'il n'est au fond guère étonnant qu'elle ne cadre pas, trait pour trait (et comme toutes les autres récoltes françaises qui ont fini par dessiner ce labyrinthe taxinomique) avec des variétés ...sibériennes !
R. adustaFr.Ni notes de récolte, ni micro, mais un exsiccatum pieusement conservé et le souvenir d'une «belle» Nigricantinae, peu souvent rencontrée, et qui loin de tout tourment exégétique, correspondait en tout point à l'image qu'on s'en fait. Trapue et forte, à la chair compacte, au chapeau lobé, aux lames épaisses et pourtant assez serrées (ce qui n'est pas commun dans ce groupe), aux tons enfumés mais chauds, à la chair douce et surtout peu changeante, ne rosissant qu'à peine et lentement et ne grisonnant (modérément) que plus tardivement encore. Et un stipe marqué, à sa base ensablée, d'anfractuosités tortueuses si typiques. (Se méfier, signalait Paul Hertzog avec qui nous l'avons récoltée, de ces anfractuosités sinueuses : elles ne suffisent pas - quoiqu'elles soient nécessaires - à baptiser adusta toute russule plus ou moins noircissante...) Dans l'herbe, en bordure d'un chemin qui longeait une forêt de feuillus mêlés de conifères.
BIBLIOGRAPHIE Blum, J., 1962 : Les Russules, Encyclopédie Mycologique, XXXII, Paul
Lechevalier, Paris.
|
Copyright © SMS 1999 - Tous droits réservés |