Société   Mycologique de  Strasbourg


Une leptonie italienne, de création récente, en forêt du Rhin:
Entoloma reinwaldii Noordel. & Hauskn.

Seconde récolte signalée et première récolte française 

par Claude LEJEUNE

 En septembre dernier, par une après-midi caniculaire, nous avons récolté, dans la forêt de la Robertsau, une leptonie aussi ravissante que mystérieuse. Dans l’embarras où nous nous sommes bientôt retrouvés pour la nommer, quelque part entre Entoloma queletii et E. roseum, nous avons temporairement rapporté ce champignon à une variété non décrite ou méconnue d’une de ses deux espèces.  Avant que M. A. Noordeloos, à qui nous avons récemment soumis photographie et micrographie, n’y reconnaisse une de ses dernières créations : Entoloma reinwaldii Noordel. & Hauskn. Il s’agirait, selon le mycologue hollandais, d’une seconde récolte.

 Entoloma reinwaldii Noordel. & Hausknecht © SMS 2000
PHOTO © Claude Lejeune

Notes de récolte

 Chapeau : plan légèrement convexe de 0,8 à 1 cm de diamètre, faiblement mais distinctement ombiliqué (très obtusément, cette dépression peu profonde n'excédant pas, en outre, le tiers de la surface du chapeau), d'un bel incarnat rosâtre, rose plus soutenu au disque. Surface très finement squamuleuse : ces mèches minuscules, plus ou moins attenantes et à peine redressées, sont disposées concentriquement autour de l'ombilic, qui est glabre, la cuticule ne s’y étant pas encore diffractée.

Lames : d'abord blanches, puis rosâtres, enfin brique, un peu ventrues, pas très serrées, fortement échancrées à l'insertion, de brièvement décurrentes par une dent à plus nettement décurrentes en filet pour les lames complètes et sur le spécimen le plus épanoui (36 lames entremêlées de nombreuses lamellules - de 3 à 5 entre deux grandes lames - de toutes les longueurs). Arête entière.

Stipe : élancé, de 5,5 à 7, 5 cm de long pour un diamètre moyen de 1,5 à 2 mm, droit au sommet ou à peine un peu évasé sous les lames, légèrement rétréci à la base. Très légèrement pubescent au sommet, pratiquement lisse et poli ailleurs, sauf à l’extrême base qui est munie d’un discret tomentum mycélien blanc. Distinctement lavé d'incarnat pâle à la récolte, fonçant ensuite à rosâtre, entièrement brique (comme tout le champignon du reste) en herbier.
Odeur
indistincte. Saveur non notée.

Ecologie : à terre dans un bois peuplé de peupliers, d’érables et de noisetiers, parmi les (maigres) débris végétaux et les mousses peu nombreuses d'un sol riche et calcaire, pauvre en litière.
Forêt périurbaine de la Robertsau (au nord de Strasbourg). Deux spécimens récoltés le 10 09 2000 (Herb. CL00091001).

 

Microscopie (Voir dessin ci-après)
Spores de (8,8) - 10 - 11,2 x 8 µ à 5 (7) bosses.
Basides tétrasporiques de 36 - 40 x 15 µ, non bouclées (les boucles sont absentes de tous les tissus).
Arrête stérile par la présence de cheilocystides majoritairement clavées, le dernier article mesurant par exemple 65 x 13 -15 µ ou encore 20 - 30 x 8 - 10 - 13 - 15 µ.
Cuticule : banale d’hyphes couchées présentant un epicutis à tendance trichodermique constitué de cellules redressées fusiformes ou claviformes, de dimensions très variables : le dernier article (porté par une hyphe grêle x 4 – 6 µ) mesurant de 50 x 8 - 15 µ et jusqu'à 150 - 200 x 25 - 30 - 35 (40) µ. Pigment vacuolaire abondant.

Entoloma reinwaldii micro © SMS 2000

 

COMMENTAIRES
Elancée, gracile et gracieuse, cette jolie Leptonie évoque d'abord, quand on se penche pour la cueillir avant d'avoir pu la détailler, quelque Mycène du groupe des Adonidae dont le chapeau serait anormalement plan convexe. La couleur des lames à maturité a tôt fait de remettre sur le bon chemin. Nous espérions alors, tant cette belle miniature semblait solidement caractérisée, arriver avec la littérature appropriée, à lui donner un nom sans trop de peine. 

Les Leptonies roses n’y sont en effet pas légion. A côté d'E. queletii, on trouve encore cités
E. roseum (Longyear) Moser, E. ianthinum (Romagn.
& Favre) Noordel., E. catalaunicum (Singer) Noordel., E. roseotinctum  Noordel. & Liiv, E. lilacinoroseum Bon.

E. roseotinctum aurait un pied gris clair et un chapeau partiellement fibrilleux - ce qui suffit à l'éliminer ; l'absence de teintes lilacines et surtout la présence de cheilocystides écartent ianthinum ;
son chapeau bordé de bleu-gris et son habitat disqualifient catalaunicum ; ses petites spores, ses cheilos nettement capitées et son stipe blanc pur évincent enfin lilacinoroseum .

Ne restaient plus en compétition dès lors que queletii et roseum.

Or nous avons précisément trouvé à notre récolte et sur la seule foi de la littérature (Bon 1984, Breitenbach & Kränzlin 1995, Moser 1983, Noordeloos 1992) des caractères croisés de ces deux espèces, voire, pour queletii, des traits qui nous auraient paru définitivement rédhibitoires (Kühner & Romagnesi 1953, repris par toutes les autres clés) si, ayant soumis plusieurs photos de ces spécimen au forum Mycologia Europaea, les réponses n'avaient néanmoins d’abord convergé vers cette première détermination ; et si, ayant pris connaissance d'une clé publiée par M. Bon (1984) celle-ci n’avait paru relativiser certains caractères (mais non pas tous) embarrassants et mentionner par surcroît un mystérieux E. queletii ss. Pearson, rebaptisé alors E. roseum fo. pearsonii ad int. par Bon et ainsi sommairement défini : « A spores intermédiaires, d’environ 11-12 µ ; habitat plus banal ou non hygrophile (…). Quelque chose d’intermédiaire entre E. roseum et E. queletii»…

Résumons les éléments qui ont alimenté notre perplexité :
1. Dans la "Flore analytique", Romagnesi, qui ne cite pas roseum et tient queletii pour très rare, le distingue de ianthinum et catalaunicum au premier niveau de sa clé des « Leptonies roses ou lilacines » : « Stipe coloré. » vs. « Stipe blanc puis crème... » (en gras dans la « Flore » elle-même) pour queletii. La présence de la fameuse astérisque signalant que Romagnesi n'avait encore jamais vu ce champignon nous permettait, croyions-nous, de nourrir un doute sur l'appréciation de ce caractère jugé alors disqualifiant.

Mais le trait revint aussi bien dans la clé de Moser que dans celle de Noordeloos, où il fait notamment le partage entre la stirpe roseum et la stirpe queletii, ce qui finit quand même par lui donner du poids ! 

Noordeloos ajoute à sa clé : stipe poli (stirpe roseum) – stipe densément strié-fibrilleux (stirpe queletii) – ce qui ne contribuait pas davantage à sceller une conviction en faveur de queletii !

2. Les dimensions sporales données pour queletii sont assez dissuasives, elles aussi : 12-15 µ (Romagnesi) ; ibid. pour Moser qui a sans doute « copié » sur K. & R., mais qui prend soin d’ajouter, « [espèce] insuffisamment débrouillée » ; 10-13 µ pour Noordeloos ; et « jusqu’à 14-15 µ » pour
M. Bon ! (12-13µ pour Boudier dans sa diagnose princeps).

3. La forme des cheilocystides enfin. Noordeloos parle de cystides « cylindracées à subclaviformes» pour queletii, et en dessine quatre franchement et exclusivement cylindriques. Breitenbach & Kränzlin font de même : on est à mille lieux de celles que nous avons pu observer.

 Bien des caractères semblaient par conséquent désigner « par défaut » E. roseum (donné comme « Très rare » et d’habitat semble-t-il alpin ou subalpin) davantage que E . queletii. Mais l’opinion de ceux qui connaissent bien cette espèce et ne l’ont absolument pas reconnue au vu des photos fidèles et très détaillées que nous leur avions soumises, comme l’iconographie que nous avions consultée (Farbatlas der Basidiomyceten : pl. III – 14 ; Breitenbach et Kränzlin :T. 4 – N° 71 ; Bolets de Catalunya : pl. 819 ; Noordeloos : pl. 58 c ; R. Courtecuisse & Duhem : 948) rendaient cette assimilation tout aussi abusive.

 En désespoir de cause, nous avons soumis à Machiel Noordeloos les photos et la micrographie ici représentées. Sa réponse, (com. pers.) nous délivra définitivement de la perplexité qui nous taraudait :
« (…)
So anyway, I do not think your collections represent E. queletii. (…)I am actually convinced this is the second find of a species that I recently described as new from Italy: Entoloma reinwaldii.[1] Your colour slides agree well with the original, and also the microscopy: spores in average longer than 10 micron and broad cheilocystidia, often in chains fit well with this species, which has been described by me in Bol. gruppo Micol. Bres. 43: 23-33. 2000 ».

Une clé temporaire réactualisée des “Entolomes présentant des tons roses ou lilas” aimablement jointe à cette réponse nous mena, de fait, directement à reinwaldii (au plus proche voisinage et dans la stirpe d’Entoloma roseum).

A noter que les exemplaires de la récolte « princeps » figurés p. 27 dans le Bolletino  mentionné, et d’habitat typiquement méditerranéen (Pistachiers, Cystes, Chênes kermès et Chênes verts), sont singulièrement plus imposants  - toute proportions « leptonienne » gardées – que les nôtres : leurs chapeaux, qui dénotent en outre une cuticule hygrophane d’apparence fibrillo-squamuleuse, mesurant de 2,2 à 5 cm. 

Il convient bien sûr d’attendre et d’espérer d’autres récoltes non méditerranéennes pour savoir si ces différences macroscopiques (jointes à des cheilos un peu plus larges sur les spécimens italiens : jusqu’à 20 µ) relèvent de la plasticité de cette nouvelle espèce ou justifieraient, pour les récoltes « continentales », un rang variétal. Rappelons néanmoins que nos grêles spécimens avaient fructifié en pleine sécheresse ; et dans un biotope - la forêt rhénane - connu pour accueillir des espèces peu communes et notamment thermophiles. 

Remerciements
Nous sommes entièrement redevable de cette détermination à M. E. Noordeloos (Rijskherbarium, Leiden) auquel nous exprimons ici nos plus vifs remerciements.

Bibliographie
Bon, M.
1984 : Leptonie rosee interessanti, Bolletino del Gruppo micologico G. Bresadola, N°1-2, pp. 86-93.
Breitenbach, J. & Kränzlin, F.,
1995 : Champignons de Suisse, T. 4 : Mykologia, Lucerne.
Courtecuisse, R. & Duhem, B., 1994 : Guide des Champignons de France et d’Europe, Delachaux & Nestlé. 
Kühner, R. & Romagnesi, H., 1953 : Flore analytique des champignons supérieurs, Masson, Paris.
Moser, M. 1982 : Die Röhrlinge und Blätterpilze, 5e édition revue, Gustav Fisher Velag, Stuttgart.
Moser, M. & Jülich, W. et col., 1985-2000 : Farbatlas der Basidiomyceten, Gustav Fisher Velag, Stuttgart.
Noordeloos, M. E., 1992 : Entoloma s.l., Fungi Europaei 5, Giovanna Biella, Saronno.
Noordeloos & Hausknecht, [2000] 2001 : Tre nuove Entolomataceae dall’Itallia, Boll. Gruppo Micol. G. Bres., XLIII – 3:23-33 
Societa catalana de Micologia, 1998 : Bolets de Catalunia, Barcelone.


[1] En hommage à Karl Friedrich Reinwald, « ami, excellent photographe (…) et découvreur de l’espèce ».
 

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Dernière mise à jour le vendredi 15 mars 2002