Société   Mycologique de  Strasbourg


Le Ried, terre "sauvage" ou paradis mycologique

par Patrick Laurent

 Le Ried alsacien ou, devrais-je dire, les Rieds, constituent des paysages originaux de la plaine d’Alsace, tant par la quiétude qu’ils dégagent et surtout par l’immense diversité de biotopes et d'écosystèmes qu’ils recèlent et donc par l’intérêt scientifique qu’ils suscitent. Même si l’on doit regretter que la monoculture dévastatrice du maïs y ait fait d’irréversibles dégâts, il reste ça et là des terres "sauvages", uniques en Europe. Faune, flore et fonge, y sont remarquables, sans parler des sites archéologiques nombreux. Le Ried Alsacien se présente sous forme d’une mosaïque de marais, de prairies humides, d’étendues de carex et de phragmites, alternant avec des prairies surélevées de quelques mètres, sèches voire arides, de cultures de choux ou de maïs entrecoupées de haies de moins en moins nombreuses, de bosquets ou de boisements d’aulnaies, de frênaies, de peupleraies ou de charmaies, le tout parfois en mélange. Il est parcouru d’un réseau dense de rivières phréatiques et de sources.

Le Ried qui tient son origine d’un vieux terme du Moyen Âge allemand Riet déformé en Ried et qui désigne le Roseau, est conditionné par l'affleurement de la nappe phréatique et l’eau en général.

De cette mosaïque de Rieds, je ne retiendrai que le Ried noir qui nous intéresse ici pour sa richesse mycologique !

C’est en effet un boisement d’environ 1,5 km de long sur 200 à 300 m de large, qui a suscité mon intérêt. Il s’agit de la forêt communale d’Ohnenheim sur le territoire du village d’Illhaeusern (Haut-Rhin) en limite avec le département du Bas-Rhin. Cette forêt commence au sud par un peuplement en majorité d’aulnes, de frênes, de peupliers noirs, de bouleaux, de noisetiers, et quelques ormes en lisière. Plus au centre on trouvera au milieu des arbres précités, quelques chênes pédonculés, de rares robiniers, des merisiers, des charmes. Le bois se termine au nord par une plantation de peupliers noirs, puis à l'extrémité d’un bosquet surtout composé d’aulnes glutineux avec en mélange quelques-uns des arbres précités. Les lisières sont parfois bordées de taillis à fusains d’Europe, d’aubépines ou d’épines noires, de cornouillers.

Cette belle forêt aux allures de forêt ancienne, peu pénétrée par l’homme, repose sur le sol du Ried noir et fait partie du Ried de Centre Alsace qui s’étend sur une soixantaine de kilomètres de façon quasi ininterrompue entre Colmar au sud et Strasbourg au nord. Il s’agit d’une zone inondable dans laquelle se sont déposés de fins éléments relativement abondants qui constituent la majorité du Ried de L’ill. L’Ill, cette belle rivière qui prend sa source au sud de l’Alsace, dans le Jura alsacien au sud-ouest de Ferrette, pour se jeter dans le Rhin au nord-est de Strasbourg. Ce Ried noir se caractérise par un sol typiquement noir, spongieux, riche en matière organique mal décomposée (ce qui en fait un sol pauvre pour l’agriculture, où les engrais chimiques sont de mises). L’horizon humifère est composé soit de tourbe, soit d’anmoor, soit de gyttja, qui repose sur une couche de gley (couche plus ou moins épaisse d’argiles qui se sont déposées sur les graviers), de texture très fine, dont le fer est oxydé (fer ferrique) dans la zone supérieure (zone de balancement des eaux phréatiques) et réduit (fer ferreux) dans la zone inférieure où les eaux phréatiques sont présentes en permanence. Le Ried noir occupe les dépressions des anciens bras du Rhin, zones aujourd’hui très dispersées et de faibles étendues, couvertes de prairies et de forêts et ne subsiste qu’en lambeaux près d’Herbsheim, Ohnenheim (67) et Illhaeusern (68).

Cette petite forêt abrite une population dense de daims, de chevreuils et de sangliers qui cohabitent et fument naturellement le sol. A savoir que ces daims proviennent de l’Illwald, forêt à statut de protection des abords de Selestat, où ils ont été réintroduits en 1854 par les Habsbourg pour les besoins de leur chasse du Haut-Koenigsbourg. Ils avaient auparavant été introduits il y a fort longtemps. Elle est la population daine la plus importante (environ 400 individus) vivant à l’état sauvage en France.

Notons au passage que cette forêt est bordée de tout son long par un petit cours d’eau limpide et pur, le Scheidgraben rau, d’origine phréatique, et qui abrite une espèce aquatique rare le Potamot coloré (Potamogeton plantagineus).

Ce réseau hydraulique conditionne le climat particulier du Ried propice à la fructification abondante des champignons. La forte humidité de l’air et le refroidissement nocturne engendrent des nappes de brouillard très denses et situées près du sol en été, cette humidité combinée à la chaleur donne lieu à des poussées fongiques spectaculaires. L’automne y est aussi plus tardif en raison de la remontée de la nappe phréatique avec une eau à 10° qui s’oppose de ce fait à une pénétration du sol par le gel.

Voici dressé le décor dans lequel j’ai l’immense plaisir d'herboriser tout au long de l’année, où les récoltes d’espèces les plus inattendues n’ont pas fini de surprendre.

Ce biotope offre une immense place aux petites Lépiotes et paradoxalement des Lépiotes rudérales ou nitrophiles, dont les trois suivantes ont été récoltées lors d'une sortie dans le Ried d'Illhaeusern, lors des dernières rencontres mycologiques organisées par la SMS qui furent un vrai régal : une très courante Lepiota cristata, une seconde qui l’est un peu moins Lepiota cristata var. exannulata et une troisième franchement rare (ou peu connue?) Lepiota hymenoderma.

Ces trois petites Lépiotes sont très semblables par leur taille, la couleur du chapeau et la disposition de leurs squames, la première portant cependant un anneau et les deux autres en étant dépourvues. Leurs odeurs (de cristata) sont quasi identiques.
On les récolte sur les mêmes stations ! 

La différence entre notre Lepiota cristata (type) et les deux autres est donc simple à faire, mais il n’en est pas de même pour les deux dernières espèces sans anneaux. Macroscopiquement, la couleur du chapeau de L. hymenoderma est un peu plus claire que celle de la var. exannulata avec des squames un peu plus denses et serrées. En revanche, on peut facilement les distinguer microscopiquement par la forme de leurs spores. Les deux Lepiota cristata (var. cristata et exannulata) possèdent des spores à éperon, alors que L.hymenorderma en est dépourvue avec des spores elliptiques plus ou moins ovoïdes.

 C'est grâce au sens d'observation de notre ami Paul Hertzog, à sa connaissance, que nous pûmes examiner, observer et décrire ces trois espèces. Je l'en remercie chaleureusement.

 Descriptions des espèces :

La Lépiote à crête Lepiota cristata (Bolt. :Fr.) Kumm. Espèce du genre Lepiota, sous-genre Lepiotula à spores typiques +/- éperonnées ou à cul de sac et à cuticule hyméniforme strict, section cristatae (Kühner ex Wass.) Bon ; présente un petit chapeau de 2-3 (4) cm de Ø peu charnu, conique-obtus, puis étalé avec un mamelon central net brun-roux à faiblement rougeâtre, dont le revêtement continu du jeune chapeau se rompt en petites squames subconcolores ou rosé vineux à ochracé rosâtre sur fond pâle. La marge blanche se festonne d’une petite frange ou reste nue. Les lames blanches, libres, serrées deviennent légèrement brunâtres dans l’âge. Le stipe grêle, blanc teinté de rose sale ou de rose vineux vers la base, avec parfois quelques mouchetures ou subsquamuleux roussâtre sous l'anneau membraneux +/- en entonnoir ou paraissant double, puis en lambeaux avec l’âge. La chair blanc pâle avec son odeur référence rappelant celle des sclérodermes, dite de baudruche ou caoutchoutée, parfois aussi (selon M. Bon) de fruits trop mûrs.

Spores (6)7-8(9) x 2,5-3,5(4) µm plus ou moins conico-trapezoïdales ou à cul de sac peu proéminent et éperonnées. Cheilocystides clavées (15)25-40(50)x(8)10-12(15) µm. Hyphes pilléiques clavées 30-50 x 12-15(20) µm à pigment pariétal lisse +/- incrustant sur les hyphes grêles du subcutis.

Habitat :

Ubiquiste et commune, elle est donnée des feuillus rudéralisés, orties, jardins, pot de fleurs, serres, champs, vergers etc...

Lepiota cristata var. exannulata Bon, possède les caractéristiques du type, mais sans anneau, avec le stipe souvent à peine plus bulbeux à submarginé et des spores comme le type mais variables (5,5)6-7(8)x2-4 µm et cheilocystides courtes ou peu évidentes. Ubiquiste mais elle affectionne particulièrement les pelouses rudérales, jachères, terrains vagues, parcs de villes, terrils...

Quant à notre Lepiota hymenoderma Reid, elle appartient au sous-genre Paralepiotula Bon à cuticule ou revêtement hyménodermique et de petites spores à membrane non gonflable dans le procédé ammoniaco-acétique et +/- entièrement lilacines dans le bleu de crésyl et de la section Lilaceae Bon à revêtement plus ou moins excorié ou à calotte discale délimitée à surface mate ou glabre et non particulièrement veloutée ni ridulée à spores binuclées pour la plupart et parfois un peu dextrinoïdes.

Elle possède un revêtement hyménodermique hétérogène avec quelques éléments sphériques parfois en chaînettes courtes ou +/- labiles.

Le chapeau de 1 à 3 cm de Ø (rappelant celui de L. cristata) possède un mamelon brun roux à squames +/- rosâtres sur fond crème. Les lames blanches deviennent légèrement rosâtres dans l’âge. Le stipe 2-5x0,2-0,4 cm, blanchâtre pâle à lavé de rosâtre vers la base ou devenant rosâtre au toucher, sans anneau (ou anneau évanescent ?) Chair pâle à odeur nette de cristata.

Spores 4-5(6)x2,5-3,5 µm elliptiques ovoïdes, pourpre dans le bleu de crésyl et légèrement dextrinoïdes. Cheilocystides 20-30(40)x6-10(12) µm, sphéropédonculées ou étranglées à subcapitées. Hyphes hyménodermiques de tailles variables (20)30-40(60) x 10-15 µm, soit cloisonnées ou avec quelques cellules terminales +/- sphériques et parfois labiles.

Habitat : Elle est peu commune ou rare dans les bois de feuillus, les feuillus calcicoles +/- gramineux, bois humides...

Bibliographie

Funghi europaei Vol. 4 M. Candusso - G. Lanzoni LEPIOTA s.l. .
Flore mycologique d’Europe. D.M. Mémoire hors série n° 3 Lepiotaceae Roze - M. Bon.
Flore analytique des champignons supérieurs. R. Kühner H. Romagnesi.
Guida alla determinazione dei funghi Vol.1° - M. Moser.

 


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Dernière mise à jour le dimanche 26 décembre 1999